Biographie de la famille Erdelyi, textes lus par les élèves du Collège Léonard de Vinci lors de la cérémonie du 7 avril
Nous sommes réunis aujourd’hui pour vous, Georges, Nesea, Betty, Michèle et Annie, réunis devant ce qui a été votre dernier domicile avant la déportation.
Nous sommes là, pour vous rendre hommage, pour dénoncer le crime dont vous avez été victimes et affirmer notre attachement aux valeurs de la République.
Votre histoire a commencé bien loin d’ici puisque vous, Nesea Cataf, êtes née en 1911, à Chisinau, actuellement capitale de la Moldavie mais qui était alors dans l’Empire russe puis en Roumanie. Vous, Georges Erdelyi, c’est à Boghis, une commune hongroise, aujourd’hui roumaine, que vous naissez en 1908.
Arrivé en France en 1929, vous trouvez un emploi d’ingénieur électricien à Creil, à une soixantaine de km au nord-est de Paris. Un an plus tard, vous êtes embauché par la société des tramways de Rouen.
Quant à vous, Nesea, on vous retrouve marchande ambulante, à Bois Guillaume en 1934. Comment avez-vous rencontré Georges, nous l’ignorons.
Tout ce que nous savons, c’est la date de votre mariage. Les registres de l’état civil l’indiquent à la date du 4 août 1937. Quelque temps plus tard, le 31 janvier 1938, à Mont Saint Aignan, vous avez un premier enfant, Betty. Puis, le 17 mars 1939, la famille s’agrandit à nouveau avec la naissance de Michèle, à Rouen. C’est là que vous habitez alors, au 67 rue Saint Hilaire. Vos fillettes deviennent Françaises.
Mais, le 1er septembre 1939, l’Histoire vous rattrape lorsque l’armée allemande envahit la Pologne. La guerre déclarée, Georges, vous voulez vous engager mais cela vous est refusé car vous êtes étranger.
L’armistice signé le 22 juin 1940 débouche rapidement sur la collaboration et l’adoption de mesures antisémites. Dès le début du mois d’octobre 1940, il vous a fallu vous faire recenser. Puis, on vous a demandé de vous déplacer pour faire apposer un tampon « JUIF » sur vos papiers d’identité. Cela apparaît, Nesea, sur votre carte d’identité.
C’est au cours de ce mois d’octobre 1940, que vous emménagez au six bis rue Girot, à Bois-Guillaume. Pour quelle raison ? Est-ce pour permettre à Betty et Michèle de profiter du confort d’une maison et de son petit jardin ?
C’est ici que naît la petite Annie, le 25 janvier 1941. Quelle joie sans doute pour Betty et Michèle d’accueillir cette petite sœur ! On les retrouve toutes les trois, au printemps ou à l’été 1942, assises sur leurs petites chaises de jardin. Betty et Michèle encadrant leur jeune sœur que l’on voit croquer dans une pomme. Votre bonheur, on le devine aussi sur une autre photographie vous rassemblant tous les cinq. Vous, Georges, êtes assis avec la petite Annie sur les genoux et Michèledebout, tout contre vous. Nesea, vous avez pris place sur une chaise, Betty debout, à vos côtés. Tous deux souriez à l’objectif.
C’est une scène paisible, bien éloignée de la dure réalité.
En juin 1942, il devient obligatoire pour vous de porter un insigne spécial : une étoile noire sur fond jaune avec l’inscription « Juif ». Tout oubli peut vous coûter une amende ou vous conduire dans un des camps d’internement qui se multiplient alors en France.
A l’automne 1942, le malheur vient frapper à votre porte. Le 9 octobre, une rafle de Juifs étrangers est ordonnée et vous voilà, Nesea, arrêtée avec vos trois filles âgées de 4 ans, 3 ans et de 18 mois. Vous vous retrouvez au centre de regroupement de la rue Poisson, où vous êtes, la plupart du temps, obligées de rester dans le dortoir. Betty est la plus jeune des six enfants français détenus dans le centre. Pendant ce temps, Georges , votre mari parvient à prouver que vous êtes Hongroise par votre mariage , une nationalité pas encore « déportable ». Le 15 octobre, il obtient ainsi votre libération.
Mais le répit est de courte durée. En pleine nuit, le 15 janvier 1943, vous êtes tous les cinq réveillés par une rafle nocturne. C’est la plus longue et la plus importante menée à Rouen. A partir de vingt heures, en plein couvre-feu, des inspecteurs de police judiciaire et des gardiens de la paix souvent par deux, se présentent au domicile des personnes recensées comme juives et leur lisent un ordre d’arrestation. Tout est minutieusement préparé et exécuté. Il est 3h40 lorsque votre famille arrive au centre de regroupement de la rue Poisson. Lors de votre arrestation, vous avez dû remettre à un fonctionnaire de police tout ce que vous possédiez : clefs, argent, bijoux et objets précieux. En échange, une enveloppe nominative et un certificat de déposition vous ont été remis. Nombreux sont ceux qui, comme vous, Nesea et Georges, doivent se défaire de ce qui leur appartenait.
Vous êtes 165 à être conduits, sous bonne escorte, à la gare rive droite, 165 dont la plus jeune est la petite Annie, tout juste 2 ans. Qui de vous deux la tient dans ses bras pour se rendre à la gare ? Peu importe, ce petit matin du 16janvier, en plein couvre-feu, vous montez à bord du train de 5h45 à destination de la gare Saint Lazare. Une fois arrivés, vous êtes dirigés vers les autobus chargés de vous conduire à Drancy.
Vous restez un mois dans ce camp avec bon nombre de Rouennais, un mois à avoir faim, à avoir froid et à redouter le pire, surtout pour vos enfants. Des convois partent du camp pour une destination inconnue. Le 11 février 1943, vos noms sont inscrits sur la liste du convoi 47.
Emmenés à la gare du Bourget/Drancy, vous devez monter dans un wagon de marchandises. Votre convoi a traversé l’Europe deux jours durant. Entassés à 40 ou 45 personnes, avec pour tout confort un seau d’eau pour boire et un autre pour satisfaire vos besoins. Vos trois petites filles grelottent. A votre arrivée au camp d’ Auschwitz, vers 22h, vous êtes brutalement séparés par les SS. Nesea, vous êtes dirigée avec Betty, Michèle et Annie sur le camp de Birkenau. Ce qui arrive ensuite, Georges l’a su rapidement. [Ce 13 février 1943,] Nesea, vous êtes assassinée, gazée, avec Betty, Michèle et Annie. Pendant ce temps, Georges, vous êtes conduit au bloc 18 du camp, dépouillé de vos effets personnels, rasé. Vous devenez le matricule 102165. Affecté aux travaux de terrassement, vous vous retrouvez plus tard à trier les bagages des déportés. Puis, vous travaillez à l’installation électrique des chambres à gaz et des fours crématoires. Entre octobre 1943 et juillet 1944, on vous retrouve à Varsovie où vous devez déblayer les ruines et les cadavres du ghetto. Vous êtes, Georges, dirigé ensuite à Dachau puis à Kaufering, une de ses annexes. Jusqu’en avril 1945, vous y êtes contraint de travailler pour l’entreprise d’électricité AEG. Votre libération par les troupes américaines intervient enfin, le 1er mai 1945. Le 9 juillet suivant, à Rouen, vous décidez de porter plainte et témoignez des atrocités que vous avez connues. Puis, vous reprenez votre travail d’électricien. C’est à Rouen que vous décédez, en novembre 1979, rue Saint Hilaire.
Si nous sommes ici aujourd’hui, c’est pour que les témoignages laissés revivent par nos voix car nous ne laisserons pas cette longue nuit traversée par l’Europe sombrer dans l’oubli. Non, nous n’oublierons pas Nesea, Betty, Michele, Annie, George.